Automobile : l’UE recule sur les objectifs CO2, les ONG en colère

Les moteurs tournent encore à plein régime… mais dans quelle direction roule l’Union européenne ? Alors que l’électrification des véhicules semblait lancée à vive allure, Bruxelles a brusquement changé de trajectoire, déclenchant l’ire des ONG et le soulagement discret des constructeurs.

Anton Kunin
By Anton Kunin Published on 28 mai 2025 8h00
Automobile : l’UE recule sur les objectifs CO2, les ONG en colère
Automobile : l’UE recule sur les objectifs CO2, les ONG en colère - © Economie Matin
1,8 milliard d'eurosL'Union européenne investira un total de 1,8 milliard d’euros dans les chaînes d’approvisionnement critiques de la filière des véhicules électriques.

Le 27 mai 2025, les États membres de l’Union européenne ont définitivement approuvé l’allègement des règles sur les émissions de CO2 dans le secteur automobile. Ce geste, en apparence pragmatique, est dicté par les impératifs industriels. En réalité, c'est une brèche ouverte dans les engagements climatiques européens, au nom de la compétitivité. Ce changement intervient dans un contexte où les émissions restent dominées par les transports, qui constituent toujours un angle mort écologique.

L'assouplissement des règles d'émissions, un répit pour l'industrie automobile

Les émissions sont au cœur du nouveau compromis trouvé entre ambitions écologiques et pressions économiques. Adoptée par 458 eurodéputés contre 101, cette réforme rebat les cartes : les constructeurs automobiles verront désormais leurs moyennes d’émissions de dioxyde de carbone calculées non pas sur une seule année, mais sur une période triennale (2025–2027).

L’objectif ? Offrir aux industriels un délai pour atteindre leurs obligations climatiques, et surtout… leur éviter des amendes dès décembre 2025. Fini le couperet annuel : désormais, la flexibilité prévaut. Cette « marge de manœuvre » a été revendiquée par les grands groupes européens, en tête desquels Renault. Son PDG, Luca de Meo, n’a cessé de plaider pour une réforme plus « réaliste » face à la « pression asiatique ».

Le Parlement, majoritairement soutenu par la droite (Parti populaire européen), les centristes de Renew et les socialistes, s’est montré sensible à ces arguments. « La pression des constructeurs a été telle qu’il a été jugé nécessaire d’établir une moyenne sur trois ans au lieu de relever les compteurs le 31 décembre », a reconnu Pascal Canfin (Renew).

Des ONG vent debout contre un recul des objectifs climatiques

Mais derrière cette « flexibilité », les ONG voient une capitulation pure et simple. Transport & Environnement, en première ligne, fustige une décision qui « ralentit l’électrification en Europe » et renforce la dépendance aux véhicules thermiques. Diane Strauss, la directrice de la branche française, alerte : « Cette concession faite à l’industrie automobile doit être la dernière. La Commission doit rester ferme sur les objectifs 2030 et 2035 ».

Même son de cloche chez les écologistes européens. La députée belge Saskia Bricmont y voit un « énième recul dans la lutte contre le dérèglement climatique » et dénonce un choix qui retarde la démocratisation des véhicules électriques abordables.

Pendant ce temps, l’extrême droite, elle, estime que ce sursis ne va pas assez loin. Le Rassemblement national appelle à « abroger complètement » le mécanisme d’amendes. Son président, Jordan Bardella, n’a pas mâché ses mots : « Les Européens n’adhèrent pas à la stratégie du tout-électrique (…) quoi qu’en pensent les idéologues de Bruxelles ».

Derrière les chiffres, une industrie toujours polluante et un avenir incertain

L’industrie automobile, malgré ses discours d’innovation verte, demeure un acteur majeur du réchauffement climatique. Selon le Parlement européen, les transports sont le seul secteur à avoir accru leurs émissions de CO2 depuis 1990 : +33,5% entre 1990 et 2019. Les véhicules personnels représentent à eux seuls 61% des émissions du transport routier — qui, rappelons-le, pèse pour 20% du total des émissions de gaz à effet de serre de l’UE.

Et les véhicules électriques ? Malgré leur essor — 17,8% des nouvelles immatriculations en 2021 —, ils peinent encore à s’imposer face à un parc thermique encore largement dominant. La transition s’avère lente, laborieuse et… coûteuse.

Face à cette situation, la Commission européenne a présenté un « plan d’action » pour soutenir une filière sous tension. Un total de 1,8 milliard d’euros sera investi dans les chaînes d’approvisionnement critiques, notamment celles des matières premières pour batteries. Une stratégie défensive, motivée par la peur de perdre la bataille industrielle face à la Chine.

L’Europe face à ses contradictions : pacte vert ou pacte gris ?

Le grand paradoxe est là. Alors que l’Union européenne affiche une ambition climatique forte à l’horizon 2035 — date butoir pour l’interdiction des ventes de voitures thermiques —, elle multiplie les exceptions et ajustements à court terme. Depuis les élections européennes de juin 2024, le paysage politique a changé : poussée de l’extrême droite, recul des écologistes. Résultat ? Le Pacte vert européen est passé à la moulinette des intérêts économiques. La révision de l’objectif 2035 n’est plus un tabou. « La prochaine étape sera de réviser cette obligation », a déjà annoncé Laurent Castillo (PPE), eurodéputé français.

Une dérive stratégique ou une pause tactique ?

L’Union européenne peut-elle encore prétendre au leadership mondial de la transition énergétique si elle commence à reculer sur ses propres échéances ? Les défenseurs de la réforme plaident un pragmatisme temporaire. Ses opposants y voient un précédent dangereux.

La réalité, c’est que chaque report, chaque aménagement mine l’efficacité des trajectoires climatiques. Si l’on en croit les derniers chiffres de la Commission, retarder l’action coûtera toujours plus cher — économiquement, socialement, écologiquement.

Anton Kunin

Après son Master de journalisme, Anton Kunin a rejoint l'équipe d'ÉconomieMatin, où il écrit sur des sujets liés à la consommation, la banque, l'immobilier, l'e-commerce et les transports.

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