La complexité de l’inflation

Alors que les États-Unis affichent une stabilité apparente des prix, soutenue temporairement par les niveaux de stocks, l’effet des hausses tarifaires imminentes devrait se manifester prochainement. En Europe, la situation est inverse : une désinflation importée de Chine pourrait persister, sauf en cas de riposte commerciale coordonnée avec les États-Unis. Le scénario macroéconomique reste encore très dépendant du risque politique.

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By Bénédicte Kukla Published on 9 juin 2025 5h30
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0,3%’économie américaine s’est contractée à un rythme annualisé de 0,3 % au premier trimestre 2025

Etats-Unis : répit sur l'activité, incertitude sur les prix

L’économie américaine s’est contractée à un rythme annualisé de 0,3 % au premier trimestre 2025, plombée par un bond de 41,3 % des importations, les entreprises anticipant l’entrée en vigueur des nouveaux droits de douane. Une reprise partielle du PIB est attendue au deuxième trimestre (+1 % annualisé), à mesure que les flux commerciaux se normalisent. L’apaisement du conflit commercial avec la Chine — les droits sur les biens chinois ayant été ramenés de 145 % à 30%— a rassuré les marchés financiers, relâchant les conditions financières à des niveaux plus accommodants. L’inflation (IPC: Indice des prix à la consommation) a ralenti à 2,3 % en glissement annuel en avril, au plus bas depuis février 2021. La baisse des prix de l’énergie et de l’alimentation, notamment l’essence (–11,8 %), a freiné la moyenne des prix. Symbole fort: le prix des œufs a chuté de 12,7 % sur un mois — un record depuis 1984 — mais reste 49 % plus élevé qu’en avril 2024. L’inflation sous-jacente est restée stable à 2,8 % en glissement annuel. Pour l’instant, les stocks élevés des entreprises ont amorti la hausse des prix à la consommation, mais les effets devraient se matérialiser dans les données de mai/juin. Les anticipations d’inflation à long terme des ménages, suivies de près par la Réserve fédérale (Fed), augmentent légèrement mais restent ancrées autour de 3 % selon l’enquête de la Fed de New York. Reste à savoir si les hausses tarifaires seront absorbées en amont: les entreprises sont poussées par l’administration Trump à ne pas les répercuter sur les consommateurs. Le rôle dominant du dollar dans la facturation internationale contribue également à limiter l’impact potentiellement inflationniste de la baisse du dollar.

Si les prix à la consommation venaient néanmoins à augmenter dans un contexte de politique budgétaire expansionniste (incitations fiscales anticipées), le risque d’un retour de l’inflation et d’un nombre plus limité de baisses de taux de la Fed s’accentuerait. Les marchés anticipent désormais deux baisses de taux au second semestre 2025, contre quatre fin avril, malgré un marché du travail stable mais assez figé par le manque de visibilité des entreprises.

Zone euro : désinflation malgré la résistance de l'activité

La désinflation progresse en zone euro, soutenue par la baisse des prix de l’énergie et le resserrement monétaire passé. Le PIB a crû de 0,3 % au premier trimestre, probablement grâce à la reprise de la demande intérieure, après les incertitudes politiques fin 2024, et à une forte demande américaine pour les exportations européennes. La production industrielle a progressé de 3,6 % en mars en glissement annuel (+50,2 % en Irlande grâce aux exportations pharmaceutiques). Les indicateurs de confiance, notamment en Allemagne, sont restés mieux orientés en avril, portés par l’amélioration des perspectives de revenus grâce à un nouvel accord salarial dans le secteur public. Toutefois, une contraction de l’activité reste très probable au troisième trimestre, plus tard qu’initialement prévu, impactant négativement la prévision de croissance 2026.

L’inflation annuelle a été confirmée à 2,2 % en avril, juste au-dessus de l’objectif de 2 % de la Banque centrale européenne (BCE). L’énergie a contribué négativement (–0,35 points), tandis que les services ont été le principal moteur, notamment en raison d’un effet calendaire de Pâques sur les transports. La BCE a déjà procédé à sept baisses de taux, et une nouvelle est attendue en juin. La suite dépendra des données du troisième trimestre et de la suite des accords avec les États-Unis. Plusieurs éléments plaident en faveur d’une pression baissière persistante sur les prix : renforcement de l’euro, modération salariale, surproduction chinoise. Les discussions commerciales avec les États-Unis avancent lentement, avec probablement une période de négociations prolongée. Bruxelles rechigne à accepter les « gains rapides » proposés par Washington. Le maintien du taux tarifaire moyen à 10 %, comme prévu dans notre scénario, semble optimiste : les dirigeants européens estiment que ce niveau ne suffira pas à éviter des mesures de rétorsion — potentiellement inflationnistes, même si la vigueur de l’euro amortirait partiellement l’effet.

Chine : moteur de désinflation mondiale

La Chine reste une source de désinflation pour l’économie mondiale - les prix à la production ont chuté de 2,7 %, marquant ainsi le 31ème mois consécutif de baisse. L’IPC a reculé de 0,1 % en avril, en glissement annuel, pour le troisième mois consécutif. Malgré une croissance robuste au premier trimestre (+5,2 %), portée par l’industrie et les exportations anticipées, le deuxième trimestre devrait marquer un ralentissement dû à la mise en œuvre des droits de douane américains et à un effet de base.

L’indicateur des surprises économiques pour la Chine a toutefois progressé, les pires scénarios de Donald Trump semblant être évités. Face au contexte géopolitique, Pékin a intensifié son soutien budgétaire et diplomatique. Sur le front fiscal, Pékin a élargi les subventions pour les achats d’appareils ménagers et de véhicules électriques afin de stimuler la consommation. Douze catégories sont désormais éligibles, y compris les lave-vaisselles, les cuiseurs à riz et les purificateurs d’eau. Ces mesures visent à renforcer la demande intérieure tout en soutenant les objectifs de fabrication et d’efficacité énergétique. La Banque populaire de Chine a réduit le ratio de réserve obligatoire de 50 points de base (pb) cette année, avec probablement encore une baisse de 50 pb à venir. L’engagement régional de la Chine est également en hausse. La visite du président Xi au Vietnam en avril a conduit à 49 nouveaux accords de coopération, notamment dans les chaînes d’approvisionnement et les infrastructures. À travers de telles initiatives, la Chine consolide son rôle en tant que force stabilisatrice en Asie.

Bkukla

Senior Investment Officier chez Indosuez Wealth Management

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