ChatGPT : pourquoi OpenAI restera finalement une société à but non lucratif?

OpenAI, le géant de l’intelligence artificielle à l’origine de ChatGPT, a annoncé qu’il resterait sous le contrôle de son entité à but non lucratif. Une volte-face spectaculaire après des mois de débats houleux, de pressions juridiques, de conflits internes et de projections financières démesurées. Derrière cette décision se cachent les fragiles équilibres entre éthique, financement et pouvoir, dans un secteur où la vitesse d’innovation dépasse largement celle de la régulation.

Anton Kunin
By Anton Kunin Published on 6 mai 2025 8h05
ChatGPT : pourquoi OpenAI restera finalement une société à but non lucratif?
ChatGPT : pourquoi OpenAI restera finalement une société à but non lucratif? - © Economie Matin
300 milliards de dollarsLa société OpenAI est valorisée à 300 milliards de dollars.

Une structure à but non lucratif face à l’appétit du capital : dilemme stratégique pour OpenAI

En quelques années, OpenAI est devenu le symbole d’une révolution, mais aussi d’un casse-tête juridique et financier. Depuis sa fondation en 2015 comme laboratoire de recherche indépendant, OpenAI visait une mission ambitieuse : développer une intelligence artificielle générale (AGI) « au bénéfice de l’humanité tout entière », sans objectif de retour financier.

Mais le discours a évolué. En 2019, une structure hybride est créée : une entreprise à profits limités (capped-profit LP), contrôlée par la fondation mère. Objectif : lever les milliards nécessaires pour entraîner ses modèles toujours plus complexes. En mars 2025, une levée de fonds dirigée par SoftBank, à hauteur de 40 milliards de dollars (environ 37 milliards d’euros), place la valorisation d’OpenAI à 300 milliards de dollars.

Une capitalisation colossale pour une entreprise qui prétend servir l’intérêt général. Sam Altman, le PDG d’OpenAI, l’a reconnu dans une lettre aux salariés : « Quand nous avons fondé OpenAI, nous ne pouvions pas imaginer avoir besoin de centaines de milliards de dollars de calcul pour entraîner nos modèles ».

Pressions politiques, procès et anciens salariés : la contre-offensive des défenseurs du modèle non lucratif

Le revirement annoncé le 5 mai 2025 ne tombe pas du ciel. OpenAI, dont l’organe à but non lucratif conserve désormais la gouvernance, a fléchi sous un feu nourri de critiques.

D’un côté, Elon Musk, cofondateur du projet, a poursuivi l’entreprise en justice, l’accusant de trahir ses principes fondateurs. Une partie de sa plainte a été retenue par un tribunal fédéral américain. De l’autre, des figures de la recherche en intelligence artificielle et d’anciens employés ont interpellé les procureurs généraux de Californie et du Delaware pour bloquer la restructuration en société lucrative.

Dans une lettre signée par des prix Nobel et des professeurs de droit, le collectif Not For Private Gain dénonce un plan qui « subvertirait la vocation caritative d’OpenAI » et « supprimerait les garanties essentielles de gouvernance ».

Une entreprise d’intérêt général : compromis ou camouflage ?

La réponse d’OpenAI ? Transformer son bras commercial en public benefit corporation (PBC), une structure hybride à l’américaine qui permet de poursuivre des objectifs sociaux tout en attirant du capital. La gouvernance reste aux mains de l’entité à but non lucratif, mais les investisseurs pourront détenir des parts.

Bret Taylor, président du conseil d’administration, précise : « Le conseil à but non lucratif nommera les administrateurs de la PBC. Ce seront les mêmes au départ ». L’entreprise affirme vouloir équilibrer la mission humanitaire avec les exigences financières.

Sam Altman, fidèle à son style tranché, balaye les controverses autour de Musk d’une phrase lapidaire : « Vous êtes obsédés par Elon, c’est votre job. Nous, on est obsédés par notre mission ».

Mais cette transition n’efface pas les critiques. Gil Luria, analyste chez D.A. Davidson, résume la position sceptique : « Le statut à but non lucratif réduit fortement la capacité d’OpenAI à lever des fonds. Les investisseurs veulent des retours, ce qui est plus difficile si un nonprofit contrôle l’entreprise ».

Le verdict des faits : une victoire pour l’éthique… en sursis

Le choix d’OpenAI de maintenir une structure à but non lucratif répond à un impératif de crédibilité, après une crise de gouvernance qui avait culminé en novembre 2023 avec le renvoi puis la réintégration express de Sam Altman. Cette stabilité retrouvée est vitale, alors que la compétition mondiale dans l’AGI s’intensifie.

Selon l’analyse publiée par OpenAI en décembre 2024 sur son site officiel, « la mission nécessite un modèle durable, où le nonprofit soit bien financé grâce aux résultats du for-profit ». L’entreprise reconnaît aussi qu’« il faut parfois plusieurs centaines de milliards de dollars pour entraîner ses modèles à l’échelle ». Autrement dit : le but non lucratif, oui… tant qu’il n’empêche pas de parler le langage des investisseurs.

Le cas OpenAI illustre une tension grandissante entre deux logiques incompatibles : celle de la mission d’intérêt général et celle du capital-risque. La firme s’en sort pour l’instant en jonglant entre les deux, avec une structure juridico-financière d’une complexité rare. Mais jusqu’à quand cette gymnastique tiendra-t-elle face à l’accélération du secteur, la pression des marchés et les exigences d'une société de plus en plus dépendante de ses outils ?

Anton Kunin

Après son Master de journalisme, Anton Kunin a rejoint l'équipe d'ÉconomieMatin, où il écrit sur des sujets liés à la consommation, la banque, l'immobilier, l'e-commerce et les transports.

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