Là où le badge de l’égalité clignote dans les discours managériaux, les murs continuent de suinter des propos rances. Un rapport publié ce 6 mai 2025 fait l’effet d’un uppercut feutré. Rien n’a changé ? Presque. Et pourtant, tout le monde dit vouloir le changement et vouloir lutter contre le sexisme sur les lieux de travail.
Le sexisme au travail est encore omniprésent en France
Le 6 mai 2025, le collectif #StOpE a dévoilé la dernière édition de son baromètre annuel sur le sexisme en entreprise, menée en partenariat avec l’Ifop. Cette étude, qui se veut à la fois radiographie des usages et miroir de nos aveuglements, met à nu une réalité glaçante : le sexisme au travail n’est pas un résidu d’une autre époque, c’est un présent bien organisé, méthodique, ordinaire. Et quand on parle de sexisme, il ne s’agit pas seulement d'une remarque déplacée : il est question d’une structure systémique qui impacte les carrières, l’estime de soi, la santé mentale et l’équilibre des organisations.
9 femmes sur 10 victimes de sexisme sur leur lieu de travail
Selon le baromètre 2025, 93 % des femmes interrogées déclarent avoir déjà subi une forme de sexisme dans leur environnement professionnel. Pas une zone grise, pas une mauvaise interprétation : un fait, net, clair, et quantifié.
À travers un échantillon robuste de 5 005 salariés représentatifs de la population active française, l’enquête révèle que plus d’une femme sur cinq (21 %) a été confrontée à un comportement sexiste à caractère sexuel au cours des douze derniers mois. Comment continuer à parler de « progrès » lorsque la banalité du sexisme est devenue la norme dans l’open space ?
Le secteur privé se distingue tristement : 47 % des répondants y perçoivent un niveau de sexisme plus élevé, contre 39 % dans le secteur public. Ce sont les mêmes bureaux, les mêmes claviers, les mêmes responsabilités, mais pas le même climat. Étrange paradoxe dans un pays qui aime se croire progressiste.
L’humiliation : le quotidien des femmes en entreprise
« Elle est douée, mais trop émotive. » « T’as pensé à sourire ? » « On dirait que t’as encore tes règles. » L’humour ? Non, l’humiliation masquée. Les blagues sexistes, les commentaires sur l’apparence, les interruptions systématiques en réunion, les propos infantilisants, sont autant de manifestations identifiées par l’étude comme les plus fréquentes.
53 % des salariés considèrent que ces comportements sont banalisés. Ce chiffre est le reflet d’un quotidien usant, où le sexisme opère comme une usure lente, une abrasion continue de la légitimité. Derrière les liens de façade entre collègues se cache parfois un rapport de domination insidieux, nourri par le silence des témoins, le laxisme des RH et la lâcheté des hiérarchies.
Le plus frappant ? La peur des représailles. Le baromètre révèle que les victimes s’autocensurent massivement, par crainte d’être stigmatisées, de voir leur carrière freinée ou, tout simplement, de ne pas être crues. Signalement ou abandon : voilà le dilemme.
Le management n’aide en rien à lutter contre le sexisme
On attendrait des dirigeant·e·s qu’ils/elles soient des leviers de transformation. Las, seulement 28 % des salariés estiment que leur employeur considère la lutte contre le sexisme comme une priorité. Ce chiffre est peut-être le plus révélateur. Il ne dit pas seulement l’inaction : il dit le choix de ne pas voir.
Le rôle des managers ? Trop souvent, il se réduit à un réflexe d’auto-défense corporatiste. Ils protègent la marque, l’image, le confort du collectif, pas les individus blessés. L’impact du sexisme sur le bien-être au travail est pourtant reconnu par 87 % des répondants, un taux écrasant qui aurait dû suffire à déclencher une mobilisation nationale. Mais qui reste lettre morte.
Il y a là un gouffre entre les valeurs proclamées et la réalité des pratiques. Combien d’entreprises vantent leur « charte de diversité » tout en ignorant les témoignages internes ? Combien multiplient les badges pour la journée du 8 mars sans lever le petit doigt quand une salariée signale des propos déplacés ?
Le sexisme : une culture dans les entreprises françaises
Ce qui se joue dans le sexisme en entreprise dépasse les seuls rapports hommes-femmes. Il s’agit d’une culture, d’un écosystème social où le rire est utilisé comme outil de contrôle, et le silence comme mécanisme de défense. On rit de la collègue trop ambitieuse, on moque celle qui prend la parole trop longtemps, on raille la femme en position de leadership comme si elle était une erreur de casting. Le baromètre de #StOpE met en évidence une double violence : celle des actes sexistes eux-mêmes, et celle de leur traitement. Une DRH qui minimise. Un manager qui ironise. Un collègue qui détourne le regard. Ce sexisme ambiant ne tue pas en une fois : il use à petit feu.
La question n’est pas « faut-il agir ? » mais « pourquoi ne le fait-on toujours pas ? » Les outils existent : formations obligatoires, procédures de signalement simplifiées, indicateurs de suivi intégrés à la stratégie RSE. Mais leur application reste parcellaire, cosmétique, ou pilotée par des directions com' plus que par des directions humaines.
Ce n’est pas un problème de moyens. C’est un problème de volonté. L’inertie est choisie. Et tant qu’elle le sera, chaque blague sexiste non sanctionnée, chaque silence institutionnel, chaque promotion différée renforcera l’idée que le sexisme est une forme de normalité tolérable.
Finalement, le baromètre #StOpE 2025 ne révèle pas une crise nouvelle. Il pointe la constance du déni, l’ampleur du silence et l’hypocrisie institutionnelle. Il est temps d’arrêter de compter les chartes signées. Il faut compter les vies cabossées, les carrières freinées, les talents éteints.