Une affaire médicale survenue en Europe interroge sur la sécurité génétique des dons de sperme. Le cas, rarissime mais aux conséquences lourdes, met en évidence les limites actuelles du dépistage génétique et la nécessité d’une réglementation européenne renforcée.
Don de sperme : une mutation génétique à l’origine de 10 cas de cancer
Le 23 mai 2025, les projecteurs se braquent sur une affaire sanitaire inédite : un donneur de sperme, utilisé dans plusieurs pays européens, a transmis un gène cancérigène à au moins 67 enfants, dont 10 ont développé un cancer. La mutation génétique, longtemps indétectée, relance brutalement le débat sur les protocoles de contrôle génétique et les limites de la fertilité transfrontalière.
La dissémination incontrôlée d’un sperme porteur d’un gène cancérigène
Au cœur de ce scandale se trouve une mutation du gène TP53, directement liée au syndrome de Li-Fraumeni, une pathologie héréditaire rare qui expose ses porteurs à des cancers précoces et agressifs. Le donneur, considéré comme sain à l’époque de ses dons (entre 2008 et 2015), a été autorisé à fournir son sperme à des cliniques de fertilité réparties dans huit pays d’Europe, entraînant la conception de 67 enfants, issus de 46 familles.
L’alerte a été donnée par deux familles distinctes qui, après le diagnostic de leucémies et de lymphomes chez leurs enfants, ont interrogé leurs cliniques sur l’origine des gamètes utilisés. Des analyses génétiques ont ensuite confirmé que 23 enfants étaient porteurs de la même mutation pathogène, dont 10 ont déjà développé une forme de cancer.
« Il s’agit d’une dissémination anormale d’une maladie génétique. Tous les hommes n’ont pas 75 enfants en Europe », a déclaré sans détour la biologiste Edwige Kasper, du CHU de Rouen, lors du congrès annuel de la Société européenne de génétique humaine à Milan, le 25 mai 2025.
Sperme, cancer et absence de vérifications : un triple scandale sanitaire
La gravité de l’affaire ne repose pas uniquement sur le nombre d’enfants atteints, mais sur l’invraisemblable légèreté des contrôles sanitaires initiaux. Le donneur avait bien subi une série d’examens médicaux et génétiques, mais ceux-ci n’ont pas permis de détecter la mutation TP53, alors inconnue à l’époque.
La banque européenne de sperme concernée affirme que « les donneurs subissent un examen médical approfondi, une analyse des antécédents familiaux et des tests pour détecter d’éventuelles maladies génétiques et infectieuses », tout en reconnaissant qu’« il est impossible de réduire tous les risques ».
Selon la biologiste française, l’analyse de cette mutation aurait nécessité « des bases de données de population et de patients, des outils de prédiction informatique et des résultats d’essais fonctionnels ». Des technologies trop coûteuses ou non systématisées à l’échelle européenne.
Pourquoi prélève-t-on du sperme et comment réguler un marché devenu transnational ?
Le don de sperme est utilisé dans de nombreux cas de procréation médicalement assistée (PMA) : infertilité masculine, couples lesbiens ou femmes seules. En France, la loi de bioéthique impose une limite de 10 enfants issus d’un même donneur. Mais ce plafond s’arrête aux frontières nationales.
Dans ce dossier, c’est l’exportation de gamètes qui a décuplé les effets de la mutation non détectée. Nicky Hudson, professeure à l’Université De Montfort de Leicester, souligne que « les enjeux importants ici concernent le grand nombre d’enfants touchés (qui serait limité s’il n’était utilisé que dans un seul pays selon les limites locales) et le défi de retrouver les familles, qui peuvent désormais s’étendre sur plusieurs pays ».
Face à cette réalité, la Banque européenne de sperme a décidé, trop tard, de plafonner les dons à 75 familles par donneur, un seuil encore très éloigné du modèle français. Le docteur Kasper réclame une limite européenne stricte, dénonçant un vide juridique « aussi inquiétant que sidérant ».
Ce que révèle ce cas : l’absence d’un cadre génétique supranational
Les 10 enfants malades sont aujourd’hui les témoins vivants d’un aveuglement réglementaire. Leurs cancers, provoqués par une mutation inconnue à l’époque des dons, soulignent l’incapacité actuelle à tracer efficacement les spermatozoïdes circulant d’un État à l’autre.
Or, un tel suivi serait d’autant plus nécessaire que la fertilité est devenue, elle aussi, un marché à l’échelle européenne. En l’absence d’un registre international des donneurs, il est presque impossible de garantir la traçabilité des gamètes, ni de limiter les risques d’unions consanguines à l’avenir.