Alors que les finances publiques font l’objet de nouvelles mesures de rigueur, le gouvernement s’interroge sur les contours du dispositif des affections de longue durée (ALD). Ce chantier budgétaire de la santé, sensible à plus d’un titre, pourrait aboutir à une redéfinition des critères de prise en charge pour des millions de patients atteints de pathologies chroniques.
Santé : vers la fin de la prise en charge totale pour les malades chroniques ?
Le 2 juin 2025, dans le cadre de l’élaboration du budget 2026, le ministre de la Santé Yannick Neuder a déclaré que le gouvernement envisageait de « réévaluer » la prise en charge des affections de longue durée (ALD). Un mot pudique pour désigner une possible restructuration d’un dispositif essentiel à la vie quotidienne de plus de 14 millions de Français atteints de maladies chroniques. Si l'exécutif jure ne pas vouloir rogner « sur la santé des Français », l'idée de toucher à un pilier du remboursement à 100 % inquiète, voire indigne.
ALD : un système protecteur sous tension budgétaire
Créées en 1945 et profondément ancrées dans la philosophie du modèle social français, les affections de longue durée (ALD) donnent droit à une prise en charge à 100 % des soins liés à certaines pathologies lourdes et chroniques, cancers, diabète, sclérose en plaques, ou encore maladie d’Alzheimer. Cette couverture permet d’alléger les dépenses pour les patients dont les traitements s’étendent sur des années, voire toute la vie.
Mais ce dispositif, protecteur par essence, a un coût : 122,8 milliards d’euros de dépenses en 2021, dont 111,7 milliards remboursés par l’Assurance maladie selon un rapport de la mission IGF-IGAS publié en 2024. En pleine préparation d’un budget 2026 qui exige 40 milliards d’euros d’économies, l’État jette donc un regard appuyé sur ce poste de dépense, devenu l’un des plus lourds du système de santé.
Vers une suspension des droits pour les patients en rémission ?
Le 2 juin 2025, sur le plateau de Lundi C’est Politique (LCP), Yannick Neuder a évoqué la possibilité d’ajuster les critères d’inclusion dans le dispositif ALD. Il a notamment déclaré :
« Réévaluer la définition et les remboursements liés à l'affection de longue durée ne serait pas un gros mot. »
Le ministre avance l’idée d’une suspension de la prise en charge intégrale pour les patients en rémission complète, invoquant le « droit à l’oubli ». Cela impliquerait qu’un patient considéré comme guéri pourrait sortir du dispositif, même si un suivi thérapeutique reste nécessaire.
Il a également précisé que les médicaments remboursés dans le cadre d’une ALD devraient se limiter « à ceux qui sont en lien avec la pathologie initiale », une orientation qui vise à renforcer la logique de pertinence des soins. Ces pistes, bien que présentées comme des ajustements techniques, s’inscrivent dans une réflexion plus large sur la soutenabilité des dépenses publiques.
Réformer sans remettre en cause la solidarité ?
Yannick Neuder a rappelé qu’il n’était pas favorable à des économies réalisées au détriment des malades :
« Je suis opposé à des économies qui seraient opérées sur le dos de la santé des Français. »
Néanmoins, un rapport conjoint de l’IGF et de l’IGAS publié en 2024 envisage plusieurs mesures de maîtrise des coûts, parmi lesquelles l’instauration d’un ticket modérateur spécifique pour certains actes ou prescriptions non essentiels. Cette participation financière, actuellement inexistante dans le cadre de l’ALD, pourrait être transférée vers les complémentaires santé, ce qui soulève des interrogations sur l’équité du système.
La Cour des comptes, dans une publication d’avril 2025, préconise également de « resserrer les prises en charge sur les seules prestations à bon droit et pertinentes » et d’accentuer les contrôles pour prévenir les usages abusifs. L’objectif affiché n’est pas de réduire les droits, mais de recentrer le dispositif sur ses missions initiales.
Des réactions prudentes dans un climat incertain
Les pistes évoquées suscitent des réactions diverses. Si certains acteurs du secteur de la santé y voient une opportunité de moderniser un dispositif créé il y a plusieurs décennies, d’autres expriment leur inquiétude quant à une possible dégradation de l’accès aux soins. Des associations de patients redoutent notamment une augmentation des restes à charge pour les plus précaires.
Pour les médecins, ces annonces posent également la question de leur marge de manœuvre clinique, notamment dans le suivi de pathologies chroniques aux évolutions complexes. Le gouvernement assure qu’aucune décision ne sera prise sans concertation, et que des discussions seront menées avec les représentants des professionnels de santé et des usagers avant toute réforme.
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026, attendu à l’automne, devrait préciser les orientations retenues. En attendant, le débat reste ouvert sur l’avenir du dispositif ALD, entre exigence de rigueur budgétaire et maintien des principes de solidarité.